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Comtesse & Exploratrice audacieuse.

"Au-delà de Touggourt"

 

Avril 1894, à la tête d'une mission de soixante hommes lourdement armés - dont quatre "blancs", plus les RR. PP. Hacquart et Menarot, et M. Bonnel de Mézière - après avoir parcouru des milliers de kilomètres dans le Sahara, exploré une partie jusque là inconnue du grand erg oriental, et achevé sa mission officielle chez les Touaregs Azdjer, le comte d’Attanoux est sur le chemin du retour. Ayant fait preuve de beaucoup de diplomatie, au péril de sa vie et de celle de ses hommes, il obtint finalement des Grands chefs la confirmation du traité de Ghadamès négocié principalement par le prince de Polignac et signé le 29 novembre 1862 avec les Kel Ajjer - une confédération Touareg qui habitait l’ouest de la Libye et l’est de l’ Algérie - avec laquelle l'état français voulait entretenir des relations "amicales" et commerciales qu'il estimait être d'intérêt réciproque, mais à cette époque on ne s'occupa guère de l'Afrique centrale et le traité resta lettre morte. Les anglais occupèrent alors le vide laissé par la France. Le comte convié à l'Exposition Coloniale qui se déroula à Lyon, au sein du parc de La Tête-d'Or, entre le 26 avril et le 11 novembre 1894, confiera au journaliste du Salut Public qui l'interroge  : "Lorsque les évènements attirèrent l'attention sur la région du lac du Tchad et qu'il fallut songer à y pénétrer, on se souvint de traité de Ghadamès et l'on se demanda si les Azger étaient toujours disposés à l'observer et c'est pourquoi nous fûmes envoyés"

Cela fait plusieurs mois que le comte d'Attanoux a quitté la civilisation occidentale et qu’il n’a pas revu son épouse. La route du retour sera longue et rude, le convoi qu’il dirige passera par Touggourt, situé à environ 700 kilomètres au sud- est d’Alger. Sa bien aimée épouse, impatiente de le revoir décide de venir à sa rencontre. C’est en femme aguerrie et téméraire, juchée sur une jolie charrette anglaise qu’elle conduit elle même, escortée d’un unique palefrenier arabe mi-valet de chambre, mi-cuisinier que la comtesse traversera les régions les plus hostiles de l’extrême sud algérien. Ce singulier équipage atteindra finalement sa destination. Les berges d'une oasis, au sud de la ville de Touggourt, accueilleront les retrouvailles du couple, la comtesse  étreindra enfin son cher époux. Le couple d’explorateurs rentre à Paris le 26 avril  espérant sans doute, après leurs longues "promenades" dans le désert,  prendre un peu de repos dans leur résidence parisienne rue de La Tour. Il n'en sera rien, un événement inattendu bousculera leur projet.

"Une Française au Maroc.

De Tanger à Fez"...

Le 7 juin 1894 le Sultan Moulay el Hassan décède à Tadla dans le sud marocain.

Sa mort pourrait engendrer de sérieux troubles entre les tribus, les risques d’insurrections sont grands ; le comte d’Attanoux revient à peine de sa mission chez les Touaregs, cependant, il est missionné au Maroc.

Son épouse fera partie du voyage, comme elle l'a toujours fait, exception faite de la mission dite d'Attanoux, elle confessera à ce propos que c'est la seule mission qui la fit réellement souffrir, n'y participant pas elle avoue avoir été "si inquiète".

Le couple d’explorateurs part pour un saut de trois mois dans l‘inconnu. Mi-juin, depuis la France, les Attanoux rejoignent Gibraltar par le chemin de fer puis embarquent pour Tanger ; de là leur petite caravane, composée de quelques hommes peu armés, de chevaux et de mulets, emprunte une route hasardeuse passant par Akba el Hamra – Had Gharbia - El Ksar Kbir pour rejoindre enfin Fès au terme de trois mois de tribulations.

En 1897, la comtesse relatera  son périple à cheval durant les 300 kilomètres qui séparent Tanger de Fès. Ses souvenirs, qu'elle signe "Mme Bernard d'Attanoux" seront publiés dans le Journal des Voyages, en quatre épisodes qui paraissent entre mars et avril 1897. L'exploratrice présente son témoignage comme "un récit de voyage qui n’a d’autre objet que de noter au hasard de la route le pittoresque entrevu en chemin".

Se limitant à une étude à demi sociologique et géographique d’un pays en effervescence, elle s’attache à donner ses impressions sur le Maroc en cette fin de 19e siècle. De son écriture alerte et décomplexée elle nous fait découvrir avec une spontanéité, aujourd'hui anachronique, les lieux traversés, les coutumes locales, les couleurs, les odeurs, la cuisine, les spécificités des peuples croisés en chemin, les dangers rencontrés, les combats menés par les insurgés auxquels la mission échappa, les paysages, le climat, le quotidien difficile, les désagréments sanitaires, la surprise d’être, une fois à Fez - qu’elle compare à une vaste pierre tombale couchée dans la vallée -  abritée dans les maisons mauresques, et l’effarement partagée avec les femmes marocaines de se découvrir réciproquement dans l’ intimité des appartements réservés. Elle prend des notes, des photos... Sans jamais empiéter sur le domaine diplomatique réservé à son cher époux officiellement missionné pour cela. Sa modestie lui interdit de se qualifier d’exploratrice ; cependant, ses articles attestent qu’elle ne fit pas  un voyage d'agrément.

En 1897, trois ans après son épopée, elle écrira de cette route qu’elle fut une épreuve dont elle conserve le charme du souvenir. L'accident de cheval sur le chemin du retour qui lui brisa la jambe en trois endroits et la cloua sur un fauteuil durant plusieurs mois a, sans nul doute, assombri passagèrement le contentement de ses découvertes.

De sa plume leste, elle nous fait part de cette mésaventure, de ses souffrances et de l'inquiétude que manifesta son époux, dans son article publié dans le Journal des Voyages le 4 avril 1897.

Extrait du "Journal des Voyages et des Aventures

de Terre et de Mer" paru le 4 avril 1897.

[Le 23 Août 1894 ] "Quatre heure de l’après-midi ; la chaleur est accablante ; tout somnole dans la caravane : les bêtes, qui n’avancent que par sorte d’habitude machinales et inconsciente, les gens affaissés sur leurs montures qu’ils ne songent ni à retenir ni à guider  [...]

Tout d’un coup, sans que l’on sache pourquoi, une sorte de panique s’empare du convoi ; les chevaux hennissent et n’étant pas maintenus, s’emportent. Un cri, et je suis étendue sur la route en proie en une atroce douleur ! J’essaie de me relever et je retombe ; ma jambe est brisée ! Et en une seconde, mon mari est auprès de moi, et aujourd’hui, envisageant les choses d’un œil plus calme, je mesure toute l’étendue de son inquiétude.

Que faire, que devenir dans ce lieu désert, à peine sûr, quand les accessoires de pansements les plus élémentaires  font, au surplus, défaut !

D’instinct mon mari déchire son mouchoir et de ces bandelettes improvisées, il enserre ma cheville ; puis, soulevée dans les bras de quatre solides Maures, me voilà en route pour le douar le plus voisin. Nous y arrivons après une heure de marche ; une cabane est évacuée par ses habitants et on m’y installe. Là, au moins, je serai à l’abri des rayons du soleil et je trouverai un peu d’eau et de fraîcheur. Peut-être même vais-je pouvoir y rencontrer les soins que nécessite mon état. On nous dit, en effet, que le village possède une rebouteuse, célèbre dans toute la région. [...] .

De suite on l’envoie quérir, et quelques instants après j’entrevois, penchée sur moi la plus atroce petite vieille sorcière qui ait jamais chevauché un balai, se rendant au sabbat. Je frémis à l’idée de me confier à pareille horreur ; cependant, s’il le faut !... mais celle-ci prend soin de me rassurer tout de suite « Toucher à une chrétienne, jamais ! s’écrit-elle, dès qu’elle sait à qui elle à affaire ; si encore elle était juive ... peut-être ! » Voilà qui renverse toutes les notions reçues quant à la gradation des sentiments que les musulmans professent pour les israélites et les chrétiens. Et comme on insiste auprès d’elle, cherchant à lui faire croire que je suis une parente du sultan, faisant aussi appel à ses sentiments d’humanité, la matrone demeure inflexible « Que la moukère fasse la profession de foi des vrais croyants et je lui donnerai mes soins. » On peut la faire sortir là. Mon mari me souffle la dite profession de foi : La ilaha illa Allah, Mohamed ressoul Allah ; il m’engage à la répéter, m’assurant que, vu les circonstances, cela ne m’engage à rien. Malgré tout je refuse ; tant pis, nous nous passerons du savoir de la vieille : à la grâce de Dieu ! Ne consentant pas à me toucher, la doctoresse veut bien condescendre cependant à me donner une consultation à distance, laquelle peut se résumer en disant que je guérirai s’il ne survient pas de complications !

Décidément, j’aurais bien ri de toute cette longue scène du douar, si je n’avais pas tant souffert.

Nous ne pouvons cependant pas nous éterniser ici. Il nous faut au plus tôt gagner un centre habité. La plus proche ville est encore à une centaine de kilomètres, et cette ville est El-Ksar [...] . Au moyen de bâtons de tente et d’un matelas, posé en long sur une mule, une sorte de civière est improvisée, sur laquelle on m’étend, et nous voilà partis, au milieu de la nuit, pour un trajet qui ne devait se terminer que le troisième jour.

Ce fut cette route, par 45 degrés de chaleur, avec ma jambe en capilotade, à peine maintenue dans son bandage primitif, et alors que chaque réaction produite par le mouvement de la mule était pour moi une souffrance, je renonce à le dire au lecteur et je lui souhaite de toute mon âme de n’avoir pas à subir un sort aussi contraire. J’ai idée cependant que pendant ce temps-là quelqu’un souffrait plus  que moi encore ; c’était mon mari qui, envisageant la situation avec plus de sang-froid que l’accident ne m’en avait laissé à moi-même, se demandait s’il était possible que je ne demeurasse estropiée pour le restant de mes jours, en admettant que la redoutable gangrène !...   

Mais Dieu nous protégeait ; il m’a évité jusqu’à l’inévitable fièvre, et aujourd’hui, en revivant par la pensée ces jours si sombres, il ne me reste dans l’esprit qu’un sentiment d’infinie gratitude pour la bonté de Très Haut.

A El-Ksar nous retrouvons notre ami le Parisien qui a été notre providence au milieu de nos épreuves.

Prévenu de la catastrophe, il a expédié à franc étrier des courriers dans toutes les directions, et le lendemain de notre arrivée, nous étions rejoints par deux médecins européens venus, l’un de Larache, l’autre de Tanger, ce dernier ayant galopé nuit et jour pour franchir les cent kilomètres qui séparaient la malade de ses soins. Grâce à ses praticiens, la réduction de la facture est opérée. Mais auparavant il nous fallu subir l’assaut des rebouteux locaux, tous prétendant me guérir, quoique par des moyens divers ; les uns préconisent l’apposition d’une omelette sur la partie malade, les autres insistent d’une façon plus qu’indiscrète pour appliquer des pointes de feu, traitement qui, la veille encore, avait parfaitement tiré d’affaire le bourriquot du caïd ! Grand merci !

Nous avons maintenant quelques ressources et nous en profitons pour faire fabriquer une litière grâce à laquelle le restant du chemin sera pour moi moins pénible.

bernard d'attanoux

La comtesse d'Attanoux en 1894, transportée plus confortablement durant la seconde partie du voyage de retour vers Tanger.

Dessin.

Neuf jours après l’accident nous arrivions à Tanger, où je pouvais enfin me reposer en attendant d’être transportable en Europe.

Puis ce fut l’embarquement, opération dans laquelle je jouais le rôle peu brillant d’un colis qu’on hisse par le treuil ; le débarquement en Espagne ; le long voyage sur les voies ferrées de la péninsule [...].

Enfin, la France, c’est-à-dire la joie du retour, le plus efficace agent de guérison.

Et aujourd’hui qu’à travers la transparence des souvenirs, les jours les plus noirs se parent de couleurs roses, notre voyage au Maroc nous apparait comme un intéressant intermède dans la banalité inévitable de la vie courante. C’est à ce titre que nous en avons noté ici les impressions, et nous espérons que le lecteur n’aura pas trouvé trop interminable la route que nous l’avons convié à refaire avec nous.

Mme Bernard D’Attanoux"

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De Tanger à Fès : itinéraire suivi par le convoi mené par le couple Attanoux de fin juin à début septembre 1894.

Carte du Maroc dressée et dessinée en 1904 par

René de Flotte de Roquevaire,

neveu par alliance de la comtesse d'Attanoux Simone de Montigny.

Aussitôt la presse relaya l'information. De nombreux journaux relatèrent l'événement : Le Temps, édition du 2 septembre 1894 ; Le Rappel édition du 3 septembre 1894, Le Figaro 7 novembre 1901 ... La nouvelle de ce douloureux épisode parvint jusqu'à Aix. Dans son édition du 6 septembre 1894 Le Mémorial d'Aix, se souvenant d'un enfant du pays, nota : "Mme d'Attanoux, femme de l'explorateur aixois Bernard d'Attanoux, qu'elle accompagnait dans son voyage à Fez, s'est cassée la cheville en tombant de cheval. Elle a pu être transportée sur une civière jusqu'à Ksar-el-Kébir (Maroc)"

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Une fois à Paris, la vaillante comtesse prit la mesure du danger auquel elle échappa. Se souvenant que les missions anglaises prenaient la précaution de s'entourer d'une assistance médicale, elle eut l'idée d'entreprendre des études de médecine et de parfaire la mise en œuvre des règles d'hygiène  afin de pourvoir aux difficultés qui pourraient surgir lors de prochaines expéditions et d'être ainsi en mesure de porter un secours utile aux hommes de son équipe de téméraires voyageurs et aux populations déshéritées croisées en chemin. Il est dit, parfois, que l'audacieuse Madame d'Attanoux aurait été médecin, cependant les recherches entreprises n'ont pas permis de déterminer de façon certaine qu'elle fut diplômée en médecine, certainement était-elle parvenue au titre d'Officier de santé.

Les inséparables comte et comtesse d'Attanoux, empreints de sollicitude et de profond respect pour les militaires coloniaux avec lesquels le comte avait tissé de solides liens de proximité, pour avoir fait partie des leurs durant trois années passées en Algérie comme lieutenant aux tirailleurs, apportèrent leur soutien sans faille aux hommes abîmés par les combats et recueillis par la Société privée de secours aux militaires ayant combattus aux colonies : La Croix-Verte Française - un organisme équivalant de La Croix Rouge pour les militaires métropolitains-. En plus des locaux qu'elle occupait place de La Chapelle à Paris, La Croix Verte ouvrit à Sèvres, en 1898, une maison de convalescence aidant au rétablissement des malheureux rentrés blessés ou invalides de leurs missions lointaines. Lors de l'inauguration des locaux le ministre des colonies M. Florent Guillain honora l'assistance de sa présence. Le comte d'Attanoux très impliqué, sera élu membre du conseil d'administration de la Société. Le couple, répondant toujours présent aux sollicitations de la bienfaisante communauté, assista, le 24 décembre 1899, à l'arbre de Noël organisé pour le première fois dans les nouveaux locaux de Sèvres par son président le comte René de Cuers (1855-1929), homme de lettres, probablement ami du couple Attanoux. Les deux comtes prennent la pose devant l'objectif du célèbre photographe Nadar en 1900 ; ils sont entourés de plusieurs autres élégants personnages en vue : explorateurs, médecins, hommes de lettre, tous animés par le sujet colonial. Soucieux d'apporter un rayon de lumière dans la vie de ses protégés, le comte de Cuers se fit père Noêl, l'espace d'un après-midi, distribuant cadeaux et tabac à ses hôtes éprouvés par l'existence. Après avoir servi un repas qui ravit le palais  des convalescents, et pour clore la fête dans l'allégresse, un concert fut donné par Mademoiselle Lecomte et Félix Bonnet, deux artistes en vogue.

L'aventure marocaine et le courage Madame la comtesse marquèrent les esprits, et lui valurent d'être honorée de l'Ordre des Palmes Académiques par le ministre de l'Instruction Publique. Cette récompense lui fut décernée au nouvel an 1898, l’arrêté de nomination parut au Journal Officiel le 17 février suivant, dans la rubrique des Officiers d'Académie : "Madame Bernard d'Attanoux, née Simone de Montigny, exploration au Maroc". Une fois encore la nouvelle fut reprise très largement dans la presse nationale : Le Journal des Débats, Le Gaulois, Gil-Blas, La Presse...

Et, c'est parée de son tout nouveau ruban violet qui agrémentait désormais son corsage, qu'elle fut invitée par le journal La Femme, une revue bimensuelle sous la houlette de l'Union des amies de la jeune fille qui "a pour but de former un réseau de protection autour de toute jeune fille appelée à quitter la maison paternelle pour chercher ailleurs son gagne-pain et, autant que possible, autour de toute jeune fille isolée ou mal entourée, quelles que puissent être sa nationalité, sa religion et ses occupations".

Dans un article intitulé les "Voyageuses et Femmes marins" daté du 1er mai 1898, l'éditorialiste y désigne avantageusement "Mme Bernard d'Attanoux, explorateur du Maroc", parmi les femmes  professionnelles, intrépides et infatigables, l'inscrivant ainsi dans le sillage des femmes d'exception qui, à une époque où les voyages n'étaient pas légion, sillonnaient audacieusement le globe contre vents et marées. Et l'auteur d'ajouter : "Si nous rangeons au nombre des voyageuses les nombreuses femmes missionnaires disséminées à la surface du globe, nous serons en droit de dire que le dévouement jusqu’à la mort, la hardiesse indomptable, les capacités de la femme comme exploratrice et son endurance ne lui font pas faire mauvaise figure dans les rangs des intrépides touristes du sexe fort". Sans doute aurait-on privilégié volontiers le terme "d'explorateurs" à celui de "touristes du sexe fort", c'est toutefois un début prometteur !

La hardiesse dont a fait preuve Madame la comtesse lui vaudront de faire l'objet d'un portrait dans le premier exemplaire de l'Almanach Féministe paru pour l'année 1899 sous la direction de la socialiste Marya Chéliga, connue pour son engagement actif dans la défense des droits des femmes. Cet almanach avait pour objet la vulgarisation et la promotion de l'idée d'égalité dans les relations sociales, et l'amélioration du sort des femmes, il se composait d'articles que nous trouverions aujourd'hui d'un féminisme très inachevé, et d'illustrations de ce qui était perçu alors comme des "publications populaires pornographiques", pour la plupart de la main du dessinateur Gil Baer (1859 - 1931). 

Il fallut, probablement, un peu d'audace et beaucoup d'humour à la comtesse d'Attanoux pour accepter de paraitre dans cet ouvrage qui fît grincer la plume de quelques Messieurs, publiquement bien-pensants, offusqués par ce mouvement social pourtant encore si embryonnaire. Malgré cela, elle semble prendre un certain plaisir à rencontrer la presse féminine et en retour les journalistes se plaisent à l'interroger sur des sujets personnels. Le journal Le Fémina lui consacre, le 1er novembre 1901, dans la rubrique "Les Femmes d'Hier et d'Aujourd'hui" un article intitulé  "Madame Bernard d'Attanoux - Exploratrice française au Maroc". A

propos du choix des toilettes qu'elle emporte dans ses malles pour crapahuter dans le désert, elle répond : "Le costume dit "de voyage" n'est pas plus pratique que nos robes de visites et de courses". Une réponse épatante ! C'est avec beaucoup d'esprit que l'éditorialiste amusée commenta : "Le goût de Madame d’Attanoux pour la simplicité... originale va jusqu’à ne pas s’habiller autrement au désert qu’à Paris. [...] elle prouve que, pour elle au moins, les jupes longues, "en formes" ou à volants, les corsages ajustés, sans cols et à manches courtes ; les dentelles, les tulles, rubans et autres ornements ; les chapeaux à plumes, les fleurs, les ombrelles gracieuses, fragiles, les petits souliers fins ne sont pas un obstacle à la réussite d’une petite "balade" au désert et parmi les tribus kabyles les plus farouches."

Féminine et élégante en toutes circonstances, autant à son aise en terre hostile que dans les salons parisiens et au spectacle, elle est une habituée des chroniques mondaines. Décrite comme une femme  "Menue, jolie, d’une carnation claire et presque enfantine que le soleil d’Afrique ne peut même pas ombrer, il lui sied d’être en toilette de soirée, et c’est peut-être pour cela qu’elle y va [...] Pleine d'entrain, le visage expressif à la fois de gaieté et d'énergie, Mme d'Attanoux est une femme de cœur intelligent et brave, une vraie française [...]". 

Le samedi matin 21 février 1891, à la demande d’Emile Guimet - industriel lyonnais empreint de la philosophie bouddhiste - M. de Milloué conservateur du musée Guimet de Paris, organise pour la première fois en France, dans la bibliothèque historique des lieux transformée en chapelle pour l’occasion, une très sérieuse et authentique cérémonie bouddhiste de la secte Shinshû que l’on nomme Hôonko ; les deux officiants sont des moines japonais de passage en Europe.

« C’est durant sa mission officielle en Asie et au Japon (1876-1877) qu’Émile Guimet a rencontré les moines de la secte Shinshû. Deux d’entre eux, Koizumi Ryôtai et Yoshitsura Hôgen, sont à leur tour venus en Europe (1891) et, en raison du lien existant entre leur secte et Émile Guimet, ont visité le musée. Ils ont ainsi constaté que s’y trouvait rassemblé l’ensemble des vêtements sacerdotaux et accessoires liturgiques indispensables à la célébration régulière d’un office de leur culte, la cérémonie Hôonkô, et ont aidé à sa reconstitution. Celle-ci a eu un retentissement inégalé et a bénéficié d’une couverture médiatique sans équivalent. » 

Cet événement mondain rassemble politiques, écrivains, artistes et tout ce que le Paris de l’époque compte de notabilités venus découvrir un rite inédit en Europe : Georges Clémenceau dont on connait l’intérêt pour la philosophie bouddhiste, Edgar Degas, Bartolomé, Jules Ferry ... et parmi le public, assis au premier rang, on pouvait apercevoir Monsieur le comte et Madame la comtesse Bernard d’Attanoux également et gracieusement invités à cette étrange manifestation. Le succès fut tel que d’autres célébrations suivront. Celle du 27 juin 1898 est immortalisée par une peinture de  Félix Regamey (1844-1907), toujours présent dans l’assistance : Georges Clemenceau. 

La comtesse n'a de cesse de nous surprendre, elle confie que  ce qui l'effraie au premier chef, ce n'est pas de traverser les terres inconnues peuplées de redoutables guerriers. Non, ce qui la terrorise plus que tout autre chose, c'est la circulation automobile dans Paris où elle réside la plupart du temps avant la Grande Guerre. A cette époque le couple partage sa vie entre Paris, Alger, et leur résidence à la campagne dans la petite ville de Coubert, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de la capitale dans la Seine et Marne, où Madame la comtesse Simone Bernard d'Attanoux, possède, selon les publications dans la presse entre 1901 et 1914, un pavillon : le bien- nommé  château "La Simonière". La localisation de cette propriété n'a pu, hélas, être déterminée. Il s'agissait très probablement d'une de ces grandes maisons bourgeoises que l'on avait pour habitude de désigner  joliment sous le vocable  de "château".

Les  années 1901-1902 seront décisives tant pour la popularité de la Comtesse que pour la réussite de ses engagements auprès des fillettes et des femmes arabes dont elle veut la reconnaissance familiale et sociétale ; c'est au travers de la création d'ouvroirs indigènes, dont elle emmaillera  le territoire de l'Algérie,  qu'elle va porter son ambitieux projet. 

Elle aura le savoir-faire et mettra toute  son énergie pour le faire savoir.

Ne ménageant jamais ses efforts elle parcourra, jusqu'à son dernier souffle, tout le pays et plus encore pour lever des fonds, dévoiler et améliorer le sort de ses protégées et propager l’œuvre coloniale en s'appuyant sur la population féminine locale. Elle sera son propre agent de communication et, une nouvelle fois, son efficacité et son audace  seront épatantes.

OUVROIR ALGERIE COMTESSE D'ATTANOUX
Croix

Mis en ligne : décembre 2020

Croix
Crazy Little Thing Called Love
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